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S'apercevoir par Claude Duthuit

 

 

 

 

Mon père Georges fut le témoin de Maxime à son mariage, et son fils Antoine fut mon témoin le jour venu ! Voilà qui place les relations entre les Adam-Tessier et les Duthuit !

 

 

Un beau jour, comme dans un jeu de société, l'image m'avait frappé en l'écoutant jouer de la trompette en ré: la similitude entre Maxime et cet instrument difficile. Petit de taille, il en possédait les mêmes éclats brillants et les envolées inattendues. L'élégance de Maxime était l'éventail d'une époque, à commencer par le dandysme venu des ateliers des Beaux-Arts: un mélange de velours côtelé et de lin d'Egypte. Une légère mèche napoléonienne lui barrait le front. Pour les avoir sans doute beau­coup observés dans les réserves de l'école, il avait des Kouros cycladiques ce mysté­rieux sourire qu'il transformait soudain en rire incontrôlable. Ses sourcils en accent circonflexe, dressés sur le mode interrogatif, invitaient aux échanges. Il avait dans son maintien l'assurance que donne l'intelligence associée à la force physique. Nous étions tous les deux de fervents anglophiles. Maxime avait pour l'Angleterre le regard de son compatriote Alphonse Allais, la tendresse en sus. Il y séjournait fréquemment pour y enseigner la sculpture sous les arches gigan­tesques d'un hangar de pure architecture victorienne : le Hornsey Collège of Art. C'est avec une curiosité insatiable qu'il restait à l'affût des signes d'extravagance britannique: «Epatant,annonçait-il radieux, avec un hoquet de plaisir,- un de mes élèves, boucher de son état, m'a présenté une pyramide de deux mètres de haut entièrement fabriquée avec des poulets de carton... spectaculaire, mon vieux, spectaculaire ! ». Il avait encore été fortement impressionné par l'histoire d'un lord qui ne circulait plus qu'en rouleau compresseur pour s'être vu retirer son permis de conduire !

Maxime connaissait toutes les galeries de Mayfair; il y entraînait ses amis pour la valeur d'une exposition ou le charme de leur propriétaire. C'était ensuite, au pub du coin des conversations sur l'art que chauffaient des verres de pink-gins, mélange meurtrier, remède souverain aux défauts d'élocution si communs à Bond Street ! Le soir nous allions nous balader vers les docks et dans Whitechapel, restés en l'état depuis Dickens. La Tamise était à cette époque d'une saleté à reflets moirés et la lueur indécise des réverbères à gaz transperçait les brumes hollywoodiennes de cet inquiétant paysage. Ce quartier moribond abritait encore quelques pubs, des vrais dont la clientèle débarquée des quatre coins du monde semblaient emboîter le pas aux héros de Melville !

C'est avec une fierté mal dissimulée que Maxime aimait surprendre ses amis, guère rassurés, tout anglais qu'ils fussent, par la découverte d'un Londres condamné et de ces vestiges saturés d'aigres odeurs de bière, de tabac blond, aux murs décorés de harpons, d'insignes militaires et de banderoles flétries à la gloire du rugby. Maxime semblait traverser l'existence en homme de la Renaissance heureux de vivre et apparemment serein face à la mort. Il avait fait les Beaux-Arts, combattu dans le maquis, puis la paix venue s'était porté volontaire pour nettoyer les champs de mines. Il avait traversé l'Atlantique comme soutier d'un «Liberty ship» et sillonné l'Amérique du Nord en auto-stop. J'allais oublier son amour pour la navi­gation à voile.

C'est ce cumul d'aventures et d'expériences qui le soutinrent à une époque où la sculpture avait dû vendre ses lettres de noblesse pour le «un-pour-cent». Il s'enga­geait avec une admirable détermination dans ces chemins hérissés d'astreintes et de vexations, poussé par la nécessité de tout donner à son art. La vivacité de sa créativité apportait des couleurs aux façades de béton et un peu de fantaisie aux stations de métro. Tant que se pouvait il ralliait son grand atelier dans les échos du burin ou l'aveuglant éclat de l'arc électrique. D'un monolithique bloc de marbre il façonnait des pétales de marguerite. Il formait d'une feuille de métal le casque d'un chevalier du Saint Empire Germanique ou le profil de Till l'Espiègle. Il tirait de l'acier poli des fleurs pour les jardins d'une autre planète.

Maxime avait le don merveilleux d'inspirer les confidences et celui, très rare, d'adoucir les angles de vos angoisses. C'est ainsi qu'à chaque coup de tampon je me retrouvais avec une totale insouciance, pour un dîner ou pour une saison, à l'abri de son toit dans la chaleur d'une famille que je m'octroyais en parfait égoïste. Les soirées, rue Schoelcher étaient toujours surprenantes avec un défilé presque quotidien de «copains»: artistes, explorateurs ou ecclésiastiques. Ce furent des moments infiniment précieux de ma vie, où se bousculaient poésie, musique, rires, sorbets aux fruits exotiques, Champagne et vin rouge des coteaux de Bandol. Moi qui m'étais violemment dressé contre le milieu artistique dont j'étais issu, avais trouvé en Maxime l'ami, le guide qui doucement m'y retrempa. À Venise son sens du sacré et sa culture m'avaient ouvert les portes d'un art contre lequel je m'étais résolu­ment braqué au désespoir de mon propre père. À Paris nous allions de bonne heure assister aux vernissages pour profiter du frémissement attentif qui marque ces évène­ments. Nous en revenions réchauffés par l'intimité d'une appréciation commune. Nos échanges n'étaient pourtant pas contrastés. Lui pouvait me parler d'un mys­tique du XVIe tout nouvellement découvert et moi l'amuser avec le lyrisme farfelu du fantaisiste Georgius. Nous arrivions à nous y retrouver !

Maxime était pour moi le diapason qui m'évita bien des discordances. Mon aîné, mon frère, il semblait me précéder en tout. Avec élégance et discrétion il m'a devancé sur un chemin que nous préférions laisser dans l'ombre. Mais si au bout de ce chemin se trouve la félicité, je l'entendrai s'exclamer: «Ah, mon petit vieux, ça me fait rudement plaisir de te voir... sans blague, tu m'as manqué ! ».

Claude Duthuit

4 novembre 2002

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